Editorial

De tels exemples doivent nous rappeler que les mouvements sectaires travaillent souvent en réseau pour repérer, séduire, isoler progressivement de son entourage, et conduire une personne à s´engager dans un processus de transformation personnelle et de mise sous dépendance. Ils utilisent une succession de techniques éprouvées pour que les nouvelles recrues abandonnent leur libre arbitre… et se mettent au service d’un projet qui, en réalité, n’est pas celui pour lequel elles croient s’être engagées.

A chaque étape, une personne alertée et en bonne forme pourrait certes remarquer telle ou telle manoeuvre pour l’éloigner de ses proches, de subtiles critiques de son mode de vie ou de révision de son passé ; plus avertie encore, elle noterait, par exemple au cours d´un stage, que sa propre fatigue physique et mentale est programmée, qu’il y a clairement une intention d’affaiblir sa vigilance et son esprit critique.

Mais elle peut tout aussi bien perdre toute défiance devant l’attention qu’on lui porte, l’intérêt qu’elle semble susciter, la chaleur d’un groupe à son égard, le charisme ou la réputation d´un maître. Question de crédulité, de solitude ou de faiblesse momentanée pour certains, question de besoin de reconnaissance ou d´envie de changement ou par curiosité pour d’autres, les raisons sont aussi variées que les histoires sont personnelles.

Une fois engagée dans le groupe, ou devenue adepte convaincue d’une nouvelle théorie, la nouvelle recrue fera tout pour adopter comportement et modes de pensée qui lui ont été présentés comme désirables (allant même parfois au-delà de ce qui est demandé) : ses proches ne la reconnaissent plus, elle leur semble ne plus avoir de pensée personnelle. Ce qui faisait sa personnalité ne semble plus avoir le droit de s’exprimer.

Une ancienne adepte d’un mouvement sectaire, dont le témoignage a été publié dans le dernier numéro de Bulles, parlait de « capture d’âme » ; c’est bien de cela dont il s’agit, et on comprend qu’il faille beaucoup de courage, et souvent une aide extérieure, pour que l’adepte assujetti retrouve sa liberté.

Réflexions d’un journaliste

Intervention de Philippe Dutilleul lors du colloque de la FECRIS « Perméabilité du monde contemporain face aux sectes », à Londres le 17 avril 2010. Philippe Dutilleul est journaliste à la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone), réalisateur du film d’investigation « Mort biologique sur ordonnance téléphonique » avec Nathalie De Reuck.
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Editorial

C’est avec satisfaction que l’UNADFI a appris la nomination de Serge BLISKO au poste de président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Médecin de formation, c’est dans le cadre de ses mandats de député qu’il a été amené à travailler sur le phénomène sectaire. Il a été membre de 1997 à 2002 du groupe d’études parlementaire sur les sectes et son vice-président de 2007 à 2012 aux côtés de Philippe Vuilque. Serge Blisko a toujours répondu présent à nos assemblées générales montrant ainsi l’attention qu’il porte aux victimes et son soutien à notre action.

Dans ce numéro, nous avons souhaité aborder la place du langage dans les mécanismes de mise sous emprise et d’enfermement sectaire. Les mots, les expressions contribuent pour beaucoup à notre perception du monde ; parfois nous sommes conscients de l’influence d’un discours, mais le plus souvent nous adoptons expressions ou tournures de façon inconsciente. Dans la mesure où le langage influe sur notre vision du monde, son pouvoir est grand et les exemples ne manquent pas dans l’histoire de l’utilisation des mots à des fins de propagande ayant conduit à la mise sous emprise.

Et sortir de l’emprise sectaire est une longue et difficile étape. Le plus souvent, il s’agit d’un long cheminement fait de prises de conscience douloureuses, de doutes, de culpabilité et de peur. Pour les « sortants », il s’agit de retrouver un équilibre physique, émotionnel, mental, pour pouvoir reprendre le fil de la construction de leur propre identité. S’ils peuvent bénéficier d’un entourage attentif, rencontrer des interlocuteurs informés et compétents, ils pourront remettre en question la vision du monde à laquelle ils avaient peu à peu été amenés, retrouver une vie sociale ouverte sur le monde.

EDITORIAL

Que Bulles consacre un numéro entier à la Scientologie ne peut étonner nos lecteurs. N’est-ce pas la secte qui donne lieu dans les médias au plus grand nombre d’articles, de comptes-rendus, d’ouvrages, de témoignages ? Elle met tout en œuvre pour vanter ses bienfaits et s’imposer avec audace. Dernièrement, les déclarations de la star Tom Cruise en faveur de la Scientologie, à l’occasion d’interviews devant faire la promotion de films, ont largement contribué à la diffusion des thèses effarantes de cette organisation.
Paradoxalement on peut donc s’interroger sur l’intérêt que nous avons de consacrer de nouveaux articles à ce mouvement, pardon, à cette nouvelle « église » ! En fait la multiplication de ses actions aujourd’hui, habiles moyens de prosélytisme, ne font qu’accentuer un danger que nous dénonçons depuis longtemps. Qui ne souscrirait en effet aux déclarations de la Scientologie quand elle s ‘élève contre l’usage de la drogue en faisant signer des pétitions dans les banlieues et quand elle fait la promotion auprès des jeunes de la défense des droits de l’homme ? Mais au-delà de cette quête fébrile de nouveaux adeptes dissimulée derrière un affichage de bonnes intentions, nous dénonçons un danger plus important : c’est celui que Paul Ariès a étudié dans un ouvrage percutant, paru en 1999, mais toujours d’actualité : La Scientologie, une secte contre la République. A la parution de ce livre, Bulles, dans trois numéros (n° 63,65,66) avait d’ailleurs publié de longs articles de Paul Ariès lui-même reprenant le contenu son l’ouvrage ; le chercheur démontrait magistralement, en s’appuyant sur les textes mêmes de l’organisation, que le gourou fondateur avait inventé des méthodes très éloignées de la démocratie. Paul Ariès intitulait ses chapitres : La Scientologie contre la Liberté, la Scientologie contre l’Egalité, la Scientologie contre la Fraternité.
Ce numéro a pour objectif de présenter les aspects dangereux, pour l’individu et pour la société, de la Dianétique et de la Scientologie à travers leur histoire et leur évolution. Si la secte en effet se contentait de conditionner ses propres adeptes, devenus « des esclaves heureux » , nous ne nous lasserions pas, bien sûr, puisque c’est notre premier rôle, de venir en aide à ces victimes et à leurs familles. Mais devant l’objectif de la secte d’appliquer son idéologie à la société entière, nous nous devons, avec l’aide des pouvoirs publics, de redoubler de vigilance.
Cette attitude, nous l’exerçons d’ailleurs non seulement vis à vis de la Scientologie mais vis à vis de toute entreprise sectaire manifestant une semblable volonté hégémonique et de déshumanisation.

Editorial

Ces actions ont pour but d’obtenir une reconnaissance en tant que « nouveau mouvement religieux », ou « minorité de conviction», et de pouvoir diffuser leurs dogmes et influer sur les orientations dans un certain nombre de domaines.

Or, si la question des sectes n’est pas absente des réflexions dans les institutions européennes, il n’existe pas de réponse ou d’objectif commun pour y faire face.

En 1996, une résolution du Parlement européen demandait aux Etats membres de l’Union, de fixer deux objectifs : échanger des informations sur l’organisation, le fonctionnement et le comportement de ces groupes dans chaque Etat ; parvenir à des conclusions sur la meilleure façon d’endiguer leurs activités inopportunes et sur les stratégies à suivre pour mettre en garde les populations. Cette résolution ne fut pas suivie d’effet.

En 2002, lorsque est adoptée la Charte des Droits fondamentaux dont un des principes est la liberté de croyance, la question de la coopération internationale reste lettre morte.

Par ailleurs, la Commission européenne s’est dotée d’un Bureau des conseillers de politique européenne, le BEPA (Bureau of European Policy Advisers), dont l’une des missions est « d’assurer un dialogue permanent entre la Commission et les Communautés de Foi et de Conviction ».

Une liste de participants potentiels est proposée par le BEPA, liste hétéroclite d’associations religieuses et de communautés « de pensée confessionnelle » et d’associations représentant « les minorités de conviction » qui en ont fait la demande. On y retrouve l’Eglise de Scientologie, Invitation à la vie (IVI), l’Institut de la Soka Gakkai.

Interrogé sur cette présence aux réunions du BEPA, à l’exclusion d’associations défendant la laïcité, le conseiller en charge des religions « se mura dans un silence diplomatique en répétant que la décision appartient aux Etats membres ».
La reconnaissance, par certains pays, de mouvements sectaires comme religion nous amène donc à redouter une normalisation possible de ces mêmes mouvements.

Entre illuminisme et secte

Fin mars 2010, dans le Michigan, un exemple typique, la milice Hutaree, a suscité une vive préoccupation pour le FBI. Ce groupe chrétien apocalyptique, armé, projetait des actions anti-gouvernementales violentes, ce qui a obligé les autorités à procéder à des arrestations.
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Editorial

Pour la fin du monde prends ta valise
Et va là-haut sur la montagne on t’attend
N’aie plus peur de rien tout ira très bien
Pour la fin du monde viens tout simplement
Viens donc il est temps. […]
chantait Gérard Palaprat en 1971…

Quarante ans plus tard, sa chanson est toujours d’actualité, la montagne a pour nom « le Pic de Bugarach », l’économie touristique de l’Aude en profite un peu, le thème est abondamment développé par des artistes, des écrivains, des chercheurs en divers disciplines, les médias s’en sont emparés… et Bulles n’échappe pas au phénomène !

Comme le soulignait Serge Blisko, président de la MIVILUDES, dans son intervention à la conférence de la FECRIS, l’annonce de 2012 a été précédée de beaucoup d’autres, les arguments anxiogènes ayant varié au cours des temps bien sûr. Pour nos associations, l’annonce de catastrophe imminente est un thème connu, inhérent à l’emprise sectaire. Induisant progressivement la rupture avec l’extérieur, la rhétorique « tu cours un véritable danger, avec nous seuls tu es protégé » se retrouve dans tous les récits d’anciens adeptes de mouvements sectaires. Que l’on pense aux dangers pour un Témoin de Jéhovah de fréquenter un « exclu », fut-il son conjoint ou son enfant, ou encore aux récits des « reclus de Monflanquin » sous l’emprise de Thierry Tilly qui les avait progressivement conduits à rompre avec parents et amis et à n’attendre leur salut que de lui.

On peut sourire des faux prophètes, et ne pas accorder de crédit à leurs prédictions mais il serait erroné de penser que personne ne les croira. Certains se sont contentés de s’enrichir en diffusant leurs prophéties à travers livres, CD, DVD, sites internet, etc. Mais d’autres sont devenus de vrais gourous et ont entraîné de vrais adeptes, ayant, comme l’explique Romy Sauvayre, « des raisons de croire ce qu’ils croient », même si ces croyances paraissent invraisemblables et peuvent conduire à des drames. Rappelons-nous des responsables de l’Ordre du Temple Solaire (OTS) dont les théories ont entraîné la mort de soixante quatorze personnes, dont trois enfants…