Editorial

« Nous ne pouvons pas admettre que des organisations totalitaires, qui font injure aux libertés fondamentales, en appellent aux mêmes libertés pour obtenir que leurs pratiques anti-démocratiques et contraires aux droits de l’homme soient protégées.[…] Afin d’empêcher que les autorités administratives et les tribunaux des états individuels ne soient abusés par des organisations totalitaires, nous avons besoin d’avoir une société civile éclairée et vigilante, tant au niveau local que national et international. » (Annelise Oeschger, ancienne présidente de la conférence des OING du Conseil de l’Europe).

Dès leur création, nos associations ont eu pour préoccupation d’informer les pouvoirs publics sur le fonctionnement totalitaire des groupes sectaires ; les victimes elles-mêmes ont pris la parole pour dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux des personnes dans ces groupes, allant jusqu’à intenter des actions en justice contre le gourou ou l’organisation. Ces procès, longs, difficiles et très éprouvants, ont mis au grand jour un fonctionnement bien éloigné de celui d’un état de droit…

Certains pays se préoccupent de la question sectaire, par la prévention et la législation, d’autres n’y voient que l’exercice d’une liberté de croyance inaliénable. L’écho, dans les médias internationaux, de la condamnation de la Watchtower Society de New-York, lors du procès intenté par Candace Conti, semble cependant indiquer une prise de conscience par la société civile de la responsabilité pénale des organisations.

Alors mineure, Candace a subi des sévices sexuels de la part d’un Témoin de Jéhovah, pédophile récidiviste, appartenant à la même congrégation qu’elle ; en 2011, elle porte plainte à la fois contre l’agresseur, la congrégation où s’étaient déroulés les faits, et la Watchtower Society.

Le jury de la Cour supérieure du comté d’Alameda (Californie) a condamné l’agresseur et reconnu coupables de négligence les anciens de la congrégation et la direction du mouvement, condamnant cette dernière à près de 24 millions de dollars (la Watchtower a fait appel de cette décision).

Candace explique qu’en portant plainte, et en refusant un éventuel arrangement financier, elle a deux objectifs : protéger les enfants et encourager les victimes d’abus sexuels, ayant subi la politique interne du mouvement, à se manifester.

Pratiques de purification et emprise groupale

Le fait que de très nombreux groupes d’embrigadement développent des discours sur la souillure et prescrivent des pratiques de purification, amène à se poser plusieurs questions. D’abord sur l’écho rencontré chez les adeptes : ces préoccupations sont elles insolites ou au contraire bien ancrées dans la culture contemporaine ? Et si oui, dans quels registres se déclinent-elles ? D’autre part, de quelles façons, le thème de la souillure et les pratiques de purification peuvent-ils être exploités pour renforcer l’emprise d’un dirigeant et d’un groupe sur un individu ? Enfin, quels sont les effets des pratiques de purification sur les individus et les groupes et quel genre de risques peuvent survenir quand les pratiques de purification prennent le pas sur toute autre considération. Jusqu’où peut mener un souci de purification poussé à ses limites les plus extrêmes ?

Lire la suite

Editorial

Personne ne choisit librement de perdre sa dignité, personne ne choisit volontairement de perdre sa liberté de penser… Mais il existe des « techniques propres à altérer le jugement » qui peuvent conduire un individu à l’assujettissement, à l’acceptation que toute sa vie soit régie par un tiers ou par une institution. Cette emprise mentale s’installe progressivement, chaque étape pouvant apparaître comme « librement consentie » : « C’est comme gravir un escalier dont les premières marches sont si peu élevées qu’on ne se rend pas compte qu’elles mènent à des marches de plus en plus hautes qui vous éloignent de plus en plus du sens commun », pour reprendre les propos de Gérald Bronner lors d’un récent colloque de la Miviludes.

Depuis qu’elles existent, nos associations suivent l’évolution du phénomène sectaire, tant dans l’organisation des « grandes sectes » en multinationales économiquement rentables et parfois politiquement reconnues, que dans le développement en réseau d’une myriade de petits groupes (parfois réduits à quelques dizaines de personnes). Quelle que soit leur taille, ces « États sectaires », comme les nomme Jean-Pierre Jougla, se caractérisent par un cumul des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre les seules mains du gourou. En faisant perdre à l’adepte sa dimension de citoyen, ce modèle sectaire atteint directement le lien social fondé sur l’État de droit.

Ce modèle régressif est porteur de graves abus de pouvoir sur les individus, sanctionnés par la justice française lors de plusieurs procès de l’année 2013.

Et ce même colloque de la Miviludes, en présence du ministre de l’Intérieur, souligne que les pouvoirs publics français sont conscients du risque sectaire tant pour les individus que pour la société.

Depuis 30 ans, Bulles s’attache à informer sur l’actualité et l’évolution du phénomène sectaire. Les articles de ce numéro, le cent vingtième, soulignent encore l’importance de la prévention : la perception des risques et la connaissance des méthodes sectaires sont indispensables à l’exercice d’une vigilance efficace.

Editorial

Voici deux mois que je remplis les fonctions de présidente. Mon engagement à travailler sur les mouvements sectaires date de ma rencontre en 1982 avec « Le Patriarche ». Alors conseillère au Ministère de la Jeunesse et des Sports, j’étais en charge du dossier formation sur la toxicomanie. Très vite, j’ai compris l’effet nuisible de ces groupes qui au prétexte de soins, détournaient de jeunes mineurs de leur famille hors de leur contexte social, défiant le droit. Aujourd’hui le groupe du Patriarche a changé de nom, d’autres groupes se sont mis en place et au final ce sont encore les mineurs qui font les frais de pratiques portant atteinte à la dignité humaine.

Editorial

Le colloque de la FECRIS, en mars dernier, a une fois de plus démontré que chaque pays européen connaît les mêmes problèmes avec souvent les mêmes groupes. La soumission des membres, obtenue par des techniques de mise sous influence, est à l’origine de milliers de drames qui relèveraient souvent de la justice, mais les victimes, leurs familles et les juges se font souvent abuser par des considérations religieuses, historiques, sociales ou psychanalytiques.

Les magistrats disposent rarement de preuves de l’utilisation de telles techniques, ne connaissent pas d’outils analytiques ou conceptuels pour les obtenir, d’autant que certains universitaires viennent à la barre pour en nier l’existence. Certaines juridictions sont réduites, faute de mieux, à utiliser des lois commerciales pour faire condamner des agissements immoraux (cf. vente frauduleuse de cours payants pour devenir un être supérieur). D’autres fois, des juridictions émettent des sentences lénitives, ou même des acquittements au bénéfice du doute, qui traduisent leur extrême embarras mitigé d’angoisse. Des malfaiteurs en repartent libres… de continuer ; les victimes, elles, attendent de la justice qu’elle remplisse ses missions de protection des individus et de la société. Il est important que des chercheurs universitaires et multidisciplinaires puissent collecter et synthétiser les connaissances sur les « états de sujétion psychologique ou physique résultant de techniques propres à altérer le jugement » (Loi About Picard 12.06.2001), en recenser les exemples avérés, échanger leurs connaissances avec les équipes similaires d’autres pays.

Les législations et les réponses des gouvernements divergent sur la question de dissoudre ou non les groupes avérés néfastes, aussi est-il important que notre pays, ainsi que la Belgique et l’Allemagne, qui disposent d’outils pour interdire les groupes les plus malfaisants et condamner leurs leaders lorsqu’ils doivent l’être, envoient des signaux forts aux autres pays pour que cessent les activités systématiquement destructrices des liens familiaux et sociaux, contraires aux constitutions et aux principes des droits de l’homme. L’exemple pourrait être suivi un jour par d’autres pays moins enclins à légiférer sur ces questions et dont l’esprit des lois fondamentales, basé sur la défense des libertés individuelles, est dévoyé par les mouvements sectaires.

Télécharger l’Editorial